• Une poignée de poèmes passables

     

    Salins

    .

    Je laisse volontiers se moquer de moi

    ceux qui n'ont jamais éprouvé de passion

    pour un ami, pour une amante, ou pour

    un petit Ezra rieur, taquin et infatigable…

    Ce que la passion pourtant laisse en poèmes,

    une fois envolés par la force du temps tous les

    Plus Beaux Instant, ressemble à ces tas de sel

    qu'en miroitant au soleil la mer laisse aux salins.

    Cristaux blancs ou roses, pareils à de petites lettres

    d'un alphabet immaculé, ils saleront nos vies

    autrement mornes et quotidiennes, de grains

    imprégnés par la longue fréquentation du ciel

    qui leur faisait face, et la leçon reflétée des nuées

    toujours en quête de limites introuvables !

     

     

     

     

     

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    Pour une faible rumeur...

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    .

    Pour une faible rumeur de moustiques

    réveillés par quelques éclairs et une averse,

    le sommeil te fuit… Alors sur l'écran lumineux

    De ton téléphone (qu’un moucheron harcèle :

    pattes fines, ailes nervurées, corps miniaturisé)

    te voici renouant avec l'habituelle dictée du jour,

    comme échaudé l'on se remet sous une cascade

    impatient qu'une fraîcheur neuve

    nous lave des sueurs impures de l’août ;

    La lumière alors nous étincelle tout le corps

    de ses perles de rosée

    transparentes comme les minutes de bonheur

    scandées par des rires d'enfant

    auxquels la mélasse morale la plus noire

    est impuissante à résister...

    Même la nuit semble doucement se recharger de sérénité

    tandis que le sommeil s’enchante d'une profusion de lunes tournoyantes

    qui miroitent sur la mer hypnotique de nos rêves

    .

    Et que penche sur nous le Visage de l’amour

    pour nous entraîner par les chemins

    d’une inconscience pavée de souvenirs oubliés…


     

     

     

    Carabistouilles

     

    En ouvrant la fenêtre du matin,

    je constate que le quotidien lever

    du jour se ressemble sans être jamais le même

    comme un poème à un autre poème…

    L'azur aujourd'hui est un immense pan

    de montagne où moutonnent quelques plaques

    de nuages neigeux, abondamment commentées

    par toutes sortes d'oiseaux nouveaux.

    Au fond du parc, au secret d'un chêne, il y a

    celui qui dit où-t'es-t-y-toi, où-t'es-t-y-toi…

    auquel répond dans le laurier un invisible

    qui chantonne ici-je-suis-ici-je-suis-ici-je-suis

    indéfiniment, tandis qu'un troisième qui ressemble

    à un pit-pit ajoute son grain de sel oui-oui, oui-oui,

    il-est-ici… Une pie insolente vient se poser

    sur la balustrade et me regarde d'un œil sévère

    en grinçant qu'ce-vacarme-m’agace ! Ça-jacasse,

    ça- jacasse-ça-m'encrasse-l'espace ! Puis elle "jumpe"

    d'un coup d'aile jusqu'au proche cerisier, répéter

    ses récriminations auxquelles d'autres grincheuses

    font écho bientôt, bruyantes autant qu'un cortège

    de manifestants du syndicat des croques-morts !

    Très haut tourne en rond une buse indifférente,

    qui piaule faiblement Je-m'ennuie-je-m'ennuie...

    Quand je vais expliquer cela tout à l'heure

    au petit Ezra, il m'écoutera d'abord avec sérieux,

    puis dans un merveilleux éclat de rire, il s'écriera :

    C'est pas vrai Papy - tu me dis des carabistouilles !

     

     

    D’un monde neuf

     

    .

    Poussant les volets vois les pétales pâles de l’aurore

    sur le plancher du ciel comme tombés de roses fatiguées

    C’est le grincement de gonds rouillés d’une pie dans le cèdre

    qui t’accueille et le chat roux ensuite vient placidement

    se poster à la porte de l’office pour attendre son lait

    en affectant l’air égyptien d’une déesse énigmatique

    .

    L’abondante averse d’hier a refroidi mais reverdi le paysage

    pour apprendre aux prétendus poètes de quelle façon

    on doit s’y prendre si l'on veut rafraîchir la réalité d'un monde

    et la rendre inoubliable et solide ainsi que les blocs empilés

    des restanques où s’alignent sagement des oliviers lavés

    comme si l’entière création venait avec le soleil de sortir de la mer

    .

    Son or étoile une ou deux vitres à travers les branches des chênes

    L’automobile de quelque voisin démarre d’un garage aux environs

    Le regard plongé dans le vert tout neuf des lauriers j’abserve

    un oiseau plus petit que les fleurs carmin sur lesquelles il balance

    piquer du bec par-ci par-là je ne sais quels brins de vérité

    qu’il tressera peut-être en un nid qui sera son poème d’oiseau...

     

     

      

     

    .

    En mémoire d’un 4 juillet très ancien

    .

    Par l’ogive, le tableau des sapins noirs et de la montagne mauve

    circule avec l’air qui entre et fait froid aux yeux

    Ne regarde pas en bas de la tour – ne regarde pas !

    tu serais aimanté par le vide et l’inhumaine beauté des solitudes

    Les parfums de la journée montent jusqu’ici

    riches comme les timbres d’une fanfare jouée par le soleil

    .

    Tant de marches à monter pour ne voir en arrivant à la 74 ème

    exténué rien de plus qu’un fragment du Grand Tout !

    Là-bas un aigle superbe au col blanc surveille en planant

    au ras de la voûte bleue un espace dont rien n’échappe

    à son regard perçant de gardien divin des Origines

    .

    Mais aussi quelle émotion quand on le voit au bord du lac

    tremper les plumes claires de sa queue dans le reflet

    puis reprendre son essor avec la vigueur inépuisable

    du contact fusionnel avec l’énergie retrouvée de la Terre

    .

    Mais toi - ne regarde pas en bas de la tour – ne regarde pas !

    tu serais aimanté par le vide et l’inhumaine beauté des solitudes

     

    (Le Thoronet)

     

     

     

    .

    Brève élégie

    .

    Pulvérisés en fine brume mentale, se sont éclipsés les cauchemars

    par la force du réveil Trois ocelles de soleil depuis la cloison

    t’annoncent que la terre a continué de tourner sans toi

    Elle rampent insensiblement vers le plafond où elles s’allongent

    et s’y superpose le souvenir des mailles lumineuses de la mer

    par la baie de la chambre, à St Aygulf, dans la petite maison du port…

    .

    Un « transistor » en grésillant restituait tant bien que mal

    Les pins de Rome de Respighi – mi mi mi mi mi mi mi-ré-mi mi-sol-mi…

    Ré ré mi… - avec cette mystérieuse gravité tout à la fois cuivrée,

    splendide, et sourdement menaçante qui pèse sur le coeur

    comme un avenir dont l’angoisse vague sournoisement s’amplifie

    à la manière du mistral des jours noirs bruissant aux frondaisons

    .

    Chasse aussi ce souvenir-là ! Il est d’un autre siècle et d’un autre

    toi - Le garçon qui sur le Ponant à coque bleue à travers la baie de Cannes

    inclinait par jeu la voile jusqu’à la limite sous le souffle tiède du large

    n’existe plus ! Seules les moustaches écumantes de Poséïdon demeurent,

    avec l’enthousiasme de tout cet azur de l’eau et du ciel que par instants

    éclaire un nuage ou assombrit une risée dont l’intime fraîcheur

    .

    glisse son invisible main sur ton torse comme au temps de ta jeunesse...

     

    .

    Amitâbha

    .

    La baie            La baie aux bateaux blancs posés ici ou là sur le miroir de l’aube            Tout le rivage de verdures moutonnantes attend            dans un silence d’ouate rose            quelle joie va se profiler à l’horizon du premier éblouissement

    .

    Une mouette solitaire file au large            impatiente de voir le soleil dénoncer sous la vague les éclairs d’argent dont elle a faim            On dirait une jeune fille vêtue d’un plumage immaculé            en quête d’un amour pour jouer son rôle d’ange

    .

    Soit !            Ce sont fantasmes de vieillard depuis toujours épris de l’obsédante sérénité des aurores            pareilles aux rires lumineux d’Ezra            aux sourires mystérieux d’Aïlenn            à ceux            poignants            de nos enfants rangés dans ta mémoire

    .

    Salue-là cette aurore            toi l’ami du passé            salue son présent Koh-i-noor ondoyant à travers les hauts pins            réveillant les cigalons inconscients contre les ventres d’écorce            dont ils tètent encore l’ambre odorant

    .

    Ici la verveine            qu’on respire de loin            là parsemé d’ail des ours            le gazon ras qui mouille tes pieds nus            Dans le cerisier trois pies se chamaillent à leur habitude            Un mulot se faufile entre les pierres sèches d’un mur de restanque

    .

    Bien sûr            à des milliers de kilomètres d’ici            il y a certainement des guerres atroces            qui se poursuivent jour et nuit            sans pitié pour les aurores aux joues roses comme celles d’une fillette            essoufflée d’avoir couru pour nous offrir un brin de grâce

    .

    Bien sûr            des trafiquants de drogue s’entretuent à vingt ans            au sein des quartiers aux façades couleur de dégueulis            malgré l’ocre de lumière neuve qui les repeint dès le point du jour            Qu’y faire            vieux poète            tel est leur Monde !

      

     

    .

     L’oeuvre améthyste
    .
    J’enfouis au coeur du papier
    la graine de chaque poème,
    qu’elle mûrisse dans l'argile rouge
    .
    pour qu’au-delà de l’hiver
    en la salive rose de l’aube éclose la Vierge d’Argent

     

     

     

     

    .

    Voeu irréductible

    .

    Rêver sans que le rêve

    te prive d’accomplir

    .

    À chaque geste enveloppé

    dans cet azur

    sa grâce réalisée

     

     

     

     

     

    .

    Lèvres spectrales

    .

    Consigné sur la pierre

    à voix de silence

    le poème

    n’en est pas pour autant

    sans timbre ni résonances

     

     

    .

    Aréthuse

    .

    Je suis retourné dans cet endroit

    perdu des bois

    où la source nourrie du lait des nuages

    et de la verdeur des mousses

    .

    sourd dans les premiers moments

    où sa transparence hésite

    sur le chemin à prendre

    .

    C’est ainsi que j’aime les ruissellements

    gérés en secret par les nombres ondoyants

     

    .

    Aurora aurea

    .

    Jalonnant le littoral sablonneux

    en lequel sont plantées les parois rouges des falaises

    le rythme de piétinements parallèles

    encore humides des larmes pleurées cette nuit

    par des étoiles esseulées

    .

    Peut-être des amants ont longé la mer

    ou des étrangers qui tel Ulysse ont survécu aux périls

    puis abordé par ici dans l’obscurité propice

    per amica silentia lunae - eût dit Virgile – à cette

    revelation of realty dont a rêvé Yeats

    initié par l’aube d’or

    .

    - ainsi que tout poète l’espère dans l’extase des nuits

    auprès de la Déesse à la Pomme

    lorsqu’il fait l’expérience de l’océan de lumière

     

     

    .

    Cigales du soleil

     

    .

    Ivres cigales je vous envie de siroter le liquide ambré

    que dans leurs fûts vieillissent les pins

    jusqu’à ce qu’il soit aussi parfumé

    qu’un vieux whisky écossais

    .

    À cela sans doute devez-vous

    cet enthousiasme obsessionnel à louer le soleil

    qui démange constamment vos archets

    Douce émotion à vous écouter longtemps dans l’ombre

    .

    On croirait que vous êtes chargées de faire entendre

    l’ostinato des cordes dans l’orchestre de la Nature

    dont les oiseaux sont les flûtes et les hautbois acides

    Oh vous écouter longtemps dans les senteurs de la pinède 

    .

    Alors que scintille au loin l’innombrable lèvre de la mer

    comme impatiente des prochains baisers du crépuscule

     

     

     

     

     

     

    Nuit des Perséides

    .

    Réveillé sans motif au sein d’un silence            tel que seul un continu sifflement sanguin chuintait à mes oreilles            je suis sorti

    .

    dans la lueur cendrée des ténèbres de trois heures et quelques            pour jouir de la fraîcheur des grands arbres            endormis sur un pied à la manière des groupes de grues argentées qu’on voit au Japon

    .

    J’espérais profiter de cet imprévu pour contempler la pluie des Perséides qu’avaient annoncée les journaux            en mal d’événements heureux à relater            en ces périodes de congés qui exigent un éphémère Éden

    .

    Or le ciel était opaque à cause des brumes d’été distillées par la proximité de la mer            et je n’ai rien aperçu sinon            tandis que j’attendais une éclaircie            assis dans un fauteuil de jardin            d’autres essaims

    .

    d’étoiles filantes jetées ainsi que des poignées de graviers blancs par dessus le toit            de la maison de ma grand’mère aux Arcs            du temps qu’elle et moi nous avions coutume de rester à bavarder tard près du figuier

    .

    me sont revenus            avec la vision            entre les astres immobiles dans l’air tiède traversé de parfums de garrigue            du vol des chauves souris aux cris inaudibles que j’imaginais pareils à des aiguilles nickelées

    .

    Je ne sais pourquoi j’ai repensé aussi à la voix            pourtant banale            de Picasso dans le restaurant de Juan-les-Pins            alors qu’ en parlant il dessinait distraitement            sur l’étiquette d’une bouteille vide

    .

    À sa gauche une dame sud-américaine l’écoutait comme on dit « religieusement »            qu’escortait            laisse nouée au pied de sa chaise             un jeune margay            sage et ronronnant malgré la rumeur nombreuse des convives

    .

    Et diverses autres choses plus intimes ont aussi refait surface            aujourd’hui scellées sous des dalles de marbre gris alourdies par l’Oubli            parfaitement insoulevables lorsqu’il fait grand jour            et que midi les consume

    .

    L’Oubli qui brusquement m’a fait frissonner            alors que le fantôme d’une jolie cousine de quinze ans aux yeux pervenche m’approchait            L'Oubli qui m’a conseillé de rentrer dormir de peur qu’une violente

    .

    crise de chagrin ne me tienne éveillé jusqu’au matin            dans la lueur vaguement cendrée de mes ténèbres intérieures….

     

     

     

     


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