• Poème du Cormoran solitaire

     

     

     

    Poème du Cormoran Solitaire

     

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    (A)

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    Obstiné pêcheur à ta ligne, par les aurores successives, tu voudrais appâter quelque poisson d’or aux écailles de silence qui t’échappe depuis toujours. Au bout de l’hameçon se tortille soit un appétissant octosyllable, soit un long alexandrin nutritif, ou d’autres vers moins ordinaires… Beaucoup d’efforts pour peu d’effets !

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    Cette mitraille ensoleillée à vol tendu, ce sont des colombes, dont la paire d’ailes élastiques geint, veuhhh, veuhhh, ramant l’espace bleu. En flagrant délit, par le gendarme solaire les arbres sont pris la ramée dans le sac de nuages, puis aussitôt assignés à résidence. C’est qu’à midi la Justice passe, en agitant les drapeaux de la mer.

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    Glisse sur la pente céleste l’ombre progressive du soir : toi au bord du miroir de l’eau, qui met un point d’honneur à conserver jusqu’au plus tard la lumière d’un reflet promis à se changer finalement en le haché chemin d’argent de la pleine lune, tu quêtes toujours le nom, le nom froid, le nom inconnu, le nom

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    capable de se jouer, ainsi que virtuosité de violon, des équivoques harmoniques, filant une indécise mélodie qui se moque d’être épelée… Bercé par la barque livrée à la douceur successive du flot, si tu tends l’oreille tu l’entendras, cristal aigu de cloche atténué par une incommensurable distance dont le lointain rivage n’est que l’amorce.

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    Feu dans le firmament, un être de silence y craque des silex ! Un à un, paraissent des repères infimes au sein de la vastité noire. Que loisir soit laissé aux humains de dormir ! Que les draps iodés remplacent l’odeur de l’écume et des embruns ! Que le sans-nom nous déchire comme s’il était l’amour ! Chassons les parasites qui vampirisent nos rêves ! Retournons là où le coeur du monde est azur et brise qui chante !

     

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    Poème du Cormoran solitaire (B)

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    Petit olivier innocent qui, à voix d’oiseaux, vagis comme un nouveau-né, pourquoi m’émeus-tu, à crânement respirer ainsi en plein soleil ?

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    Entre un laurier et un rosier grandi, es-tu le rejeton d’une rencontre spontanée entre la gloire et l’amour ? Non, la nature n’a pas de ces caprices, pour elle insensés !

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    En fait de gloire, la nature ne connaît que la lumière irradiant à travers l’espace. Et pour l’amour, son seul souci est propager la vie, par tous les moyens, (même le sentiment).

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    Qu’on n’attende pas d’elle ni éthique, ni morale : tout survivant, pour elle, est justifié, et la mort pour elle n’est pas autre chose que suite et redistribution d’atomes.

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    Petit olivier, tu es comme moi, comme les oiseaux qui t’habitent, une des formes vives et merveilleuses que peut prendre la cendre d’étoile, avant que le hasard ne relance ses dés...

     

     

     

    Poème du Cormoran solitaire (C)

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    Loin de toutes choses, je me fais reproche de ne m’intéresser pas aux bruits de ferraille des ouvriers qui ravalent la façade du grand immeuble voisin. Davantage me touchent les arbres bleus dans le paysage, semblables aux veines qui courent à la tempe d’une belle au chignon dégagé. J’imagine déjà, derrière un léger tulle de brume, l’évasion des vallons enneigés.

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    En forêt, les cerfs grattent du sabot l’humus tapissé de feuilles polychromes, leurs appels rauques me restent en mémoire, résonnant d’échos sinueux au labyrinthe des troncs fanés. Mousses tournées vers l’étoile la plus fixe, tandis que l’aube illumine l’écorce nue de l’autre face. Des yeux je cherche dans ma vision intérieure l’éclair bleu des ailes d’un geai, sitôt perché.

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    Octobre frappe à ma porte, ses premiers froids embuent les vitres du petit-jour. Gelée blanche sur les aconits, les ostas, les camélias d’hiver. Un dernier alphabet de voiliers migrateurs tire derrière-lui des vapeurs grisonnantes. Il dépasse les toits, flèche orientée vers d’autres continents pour lesquels novembre, tiède, sera le pressentiment de l’été.

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    Les exploits télévisés du football n’aimantent pas mon esprit davantage que les exploits des politiciens, ou des tyrans dont les balles et les schrapnells terroristes ensanglantent la chair des innocents, détruisent les familles, - les femmes et les enfants d’abord ! - au nom de quelque abominable dieu Moloch. Homo homini lupus, disaient les Anciens.

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    Combien il est difficile de conserver le goût des êtres humains, de perdre son temps à les observer pour écrire d’éternels romans psychologiques autour du triangle infernal, ou des histoires de crimes que des policiers de fiction élucident, pour nous consoler de la réalité. Ce qui passionne les foules est constamment la même aventure de vivre, avec mille variantes : heureusement - non sans fin.

     

     

     

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    Poème du Cormoran solitaire (D)

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    Ces sombres plongées nutritives sous le bleu foncé des remuements d’ondes, glauques portes battantes constamment livrées au vent, pourquoi ton désir ne parvient-il pas à les éviter ? Que nourrissent-elles, quelle pieuvre vorace, tapie dans les ténèbres de ton inconscient, et qui exige son offrande régulière, immatérielle et pourtant affamée ?

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    Sans sa provende journalière de phrases, elle rue entre les parois de ton crâne ainsi qu’une gitane que les guitares ont jetées dans une transe que seule sa drogue, la danse aux talons frénétiques, apaisera ! Nuit et alcool, aÿ ! Une étoile glisse un regard par la porte entrebâillée de la chambre secrète où s’agite et tourne en rond un Pinocchio qui est ton moi.

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    Tu ne veux point d’Éden frelaté. Que tes cauchemars soient hachés par l’insomnie ! Aux corridors noirs, l’acier en main, poursuis ton minotaure ! Comme un que rien de fera reculer, embroche-le entre ses cornes, frontalement ! Qu’une longue sentence, aiguë et venimeuse, te tombe sous la paume, javeline transmise par les spectres combattants de siècles anciens.

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    La nuit va tomber. De plus en plus froide. La misère au visage rougeaud d’alcoolique s’accumule dans les encoignures et sous les porches. Les passants font l’oeil en plastique pour éviter de regarder. Dans ma tête, tandis que je reviens, avec du pain comme chaque soir, claquent des cordes inguérissables. Lancinantes guitares de douleur et de mélancolie !

     

     

     

     

    Poème du Cormoran solitaire (E)

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    Ancré par une chaîne au plus noir de l’abîme, le corps-mort, en solitaire, danse au gré du flux qui de l’infini ramène des bouquets d’écumes étoilées. Ce sont roses de transparence qu’argente le vent, avec griffes blanches rêvant d’agripper la rive, et pétales incurvés en bulles minuscules, chacune en entier reflétant ciel et terre.

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    Au flanc des collines, roulent les vagues cramoisies, brunes au-dessous, que le soleil brasse avec l’air d’automne agité selon les caprices des arbres. Les sylphes et les enfants en congé aiment à shooter au passage dans ces tas de feuilles mortes, au moindre défaut de terrain accumulées. Brûlées, leur fumée en écharpe odorante et bleue stagne au-dessus des jardins.

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    La négligence d’octobre a laissé s’encrasser de nuages gris le dôme d’azur limpide où l’on voyait monter en fusées des alouettes ; où évoluait, en huits éternels, la crécerelle d’août. Le froid commence à insister lourdement. Au petit-jour les flaques craquent comme verre. Que viennent faire ici tous ces malheureux immigrants qui ont quitté leurs contrées sans hivers ?

     

     

     

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    Poème du Cormoran solitaire (F)

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    Tant de petites joies que rien ne viendra sauver.

    Que restera-t-il de ce rocher isolé au milieu de tout, sur lequel, debout, l’oiseau ressorti de la vague vient se lisser les plumes ?

    Son bec doré paraît noirci par l’encre de ses proies gluantes ; on y voit parfois palpiter, se débattre et gigoter leurs appendices filiformes alors qu’elles sont encore vivantes et embrouillées.

    Souvent la mer se contente de livrer des formes effervescentes, gélatineuses, inachevées, qu’on ne saisit pas à main nue sans qu’il vous en cuise…

    La transparence retourne sa violence contre le miroir qui l’observe, avec son insensée vacuité sans horizon ni réalité.

    Esprit fantomatique, pris en sandwich entre les lumières dont réciproquement s’alimentent deux miroirs face à face, comment tirerais-tu de ce mauvais pas l’être humain qui t’habite ?

    Dès la naissance, l’axe de la vie s’avère pour certains insaisissable, ils n’ont que la ressource de tenter de respirer à côté. Bifurcation et tangence, avec l’abîme - et son vertige en permanence - qui les accompagne comme leur ombre.

    À leur instrument, une seule corde reste, dont ils doivent cependant tirer toute la virtuosité sonore imaginable. Une capacité funeste, lorsqu’ils la possèdent, puisqu’on pourrait dire qu’en quelque sorte leur vie mal engagée ne tient qu’à un fil !

    « Mieux vaut un sommeil bien ivre sur la grève », écrivit un jour l’un d’entre eux.

     

     

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    Poème du Cormoran solitaire (G)

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    Volatile au plumage endeuillé, réduit à des chansons rauques dans le vent instable, avec pour seul public les vagues aux blanches crêtes de punks, qu’attends-tu du jour ?

    Frétillant, le moindre fuseau d’argent à poursuivre suffira-t-il encore à aiguiser ta faim ?

    La tête la première entré dans l’autre dimension, jamais tu n’en ressors là où tu l’avais conjecturé ! Et partout un brouillard humide pour te surveiller, avec un vague soleil pâle au-delà du voile automnal.

    Aigu, un harmonique de violon, ton regard qui transperce l’ondoiement moiré du présent, sonde futur et passé, quitte à déplaire au clan de mouettes rieuses qui clabaudent, vautrées sur la houle : insensibles à ce qui tantôt les élève ensemble et tantôt les rabaisse.

    Indocile aux fluctuations communes, tu en es punis d’une solitude impossible à définir par ceux qui ne sont pas forcés de composer avec les airs de mer.

    Debout sur ton bout de roc émergé, tu n’envies pas les avions roses qui traversent le couchant, scintillants, empanachés de leur queue de comète, et remplis de riches passagers que ton cri, de toutes façons, n’intéresserait pas.

    Toi, volatile au plumage endeuillé, tu ne cries pour personne.

     


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    Vaches d’alpage

     

    Vaches d’alpage
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    Discrète affection pour les vaches vautrées sur le foin fleuri des prairies, les pensives qui fixent tout en ruminant la ligne bleue des crêtes
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    de leurs yeux andalous. Et leur museau humide quelque fois laisse échapper un long soupir caverneux. Sans doute songent-elles
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    à la stupidité meurtrière des groupes humains qui pourtant avaient commencé avec elles – les douces têtues, les joyeuses, les placides…
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    Dociles, tachetées de robe ou bien unies, cornes en lyres ou double crocs de lune, les voici traçant le sentier à flanc de pente, clarines sonnantes,
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    Aimons les suivre sous le ciel, au col herbeux que frôlent le nuages, alors qu’alentour les monts nous cernent des toits d’ardoise d’un grandiose paysage !

     


    « ιερό σύνταξη »
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    Existe-t-elle la façon de cimenter les constructions de mots
    irréfutablement, comme on étanche une poudre assoiffée
    avec de la transparence pure, et voici les vocables scellés
    d’un lien sacré que l’esprit ne peut plus dissoudre ?
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    Sur les lèvres de la Beauté, doux pétales de cyclamen,
    la parole bourdonne en recueillant son baume
    ainsi que l’abeille velue de vieil or si chère à Pindare.
    Et d’un coup le murmure insidieux du temps s’efface…
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    Avec l’explosion florale du printemps le remplacent
    la berceuse d’une mère, un nouveau-né au sein ;
    le hennissement de la jument sur le col du poulain ;
    l’amoureux qui hèle son amour au détour du sentier.
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    Que m’importe au fond si tout est joué pour le poète !
    L’archange des saisons dicte sa loi. Elle est irréversible.
    Elle pulse en rythme notre sang, de l’enfance au tombeau.
    Par cette seule pulsation à leur insu tous les humains sont [frères.


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    Sibylline insomnie
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    N'écoute pas l'enfant spectral qui tombe dans la nuit
    N'exagère pas les vertiges du noir espace de silence
    qui fait résonner ton chagrin comme un choc secret
    Nul ne connaîtra jamais le puits où tournoie ta chute
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    La chance est qu'il n'existe pas de mur, de vrai mur
    Que ton univers - même sombre - est attentif, audacieux
    Nappe d'eau en tes jeux couverte de voiliers imaginés
    avec l'élan franc d'un oiseau qui ne ressent pas ses limites
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    Celui qui dans tes bras ne sait pas encore qu'il rêve
    d'avenir, garde-le, précieux comme un lot de gemmes
    que la vie te confie un moment avec leur lumière
    jusqu'au jour où tu devras les restituer sans regrets.


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    Guayaquil
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    Fleurs de coton aux flancs des dents bleues,
    qui tremblent dans la mer teintée d'azur sombre,
    guitares et flûtes, des robes tournoyantes dansent
    au sein des foules du marché, trèfle d'or à l'oreille.
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    Qu'on me parle du soleil et des grappes blanches
    de la coca ! Du paysan qui cueille les grains rouge
    de café dans la forêt pleine du vacarme des oiseaux !
    Les souvenirs étalés sur des bâches sèchent au vent…
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    Lancinant l'invisible à l'oreille zinzine chaque nuit,
    vibration chuchotée à douceâtre odeur de sang :
    à l'aube un garçon bouclé porte un cageot de chuño
    tandis que larmoie le vert-de-gris du Libertador.



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    Lieux improbables
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    Selon les vents le ciel s’éclaire ou bien s’éteint
    Les météores dévident leurs écheveaux de feu
    à travers les ramures des forêts ensommeillées
    Sous les ogives d’un château la Belle allongée
    respire en rythme ses seins soulèvent la moire
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    Une crédence offre un pot plein de tubéreuses
    dont le parfum ajoute au sortilège du silence
    La petite voix gémissante qui semble monter
    des souterrains n’existe pas C’est un remords
    vain dont le spectre hante les couloirs déserts
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    Taisons-nous chuchote un noir cyprès taciturne
    qui veille sur les tombes froides des ancêtres
    La pluie bruine grise sur les rosiers défleuris
    Un démon masqué d’argent grimace au fond
    du parc Sous un banc sèche une flaque de soleil.

     

     


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    Délivrance
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    Ah, les voilà partis, les flâneurs, les nomades, têtes farcies de rêves migrateurs que reflètent les cristaux d’une léthargie d’encre. Tels se déclinent en variations de lumière, tels autres se conjuguent à tout ce qui, de l’univers, nous émerveille. Une pluie de minutes les scande, en sorte qu’au grand jour chacun brille d’une graine de rosée, assortie d’une perle de non-sens du plus indescriptible orient.
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    De ce qui est fange, ils font des fleurs aux lèvres pures. Ils justifient le nouvel éclat de la moindre vision qui traverse l’espace avec l’élan planant d’un vaste rapace. Même la recrudescence des adjectifs risque d’être le plus souvent vaine pour charger les itinéraires, qu’ils ont choisis par autotélisme, d’une relation enviable avec la splendeur du réel qu’ils explorent inlassablement.
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    Un collier de grenats au cou de l’aimée pourrait ressembler à leur procession. Leur présence guérit souvent les blessures. L’amour sur leur passage s’épanouit comme les pâquerettes sous les talons de la mère de Tristan. Ils sont des pérégrins loyaux, pleins d’une mémoire infaillible. Ils devinent à son parfum quelle étoile choisir lorsque la nuit aveugle même les yeux des chouettes et de la pleine lune.
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    Ceux qui ne les ont pas écoutés achèvent dans une ambiance décharnée d’ossuaire un temps de vie programmé. En revanche, dans son gréement étagé souffle un vent qui emporte la nef où, passagers, clandestins parfois, les plus lucides et les plus écorchés trouvent refuge. Lever alors les yeux vers ce coin d’azur que conservent les cigales au fourché d’un pin, pour nous, terraqués, est pressentiment de liberté.


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    Trois fois rien…

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    J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude

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    Toujours à distance respectable un oiseau menu compte en sautillant les grains de sable 

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    Puis s’envole pour aller faire son rapport au nuage qui rôde autour de la cheminée désaffectée

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    Nuage rose d’espoir que l’on voit s’attarder jusque avant dans le crépuscule en rêvant 

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    D’épouser une svelte fumée avec la bénédiction du clair de lune aux faux airs de curé 

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    J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude

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    Froissant dans mes paumes une tige d’anis je regarde alentour pour en faire respirer le baume

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    à quelque Amour au visage complice Personne Alors je ramasse un clair coquillage pour le cas 

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    où tu voudrais Beauté l’emporter partout afin d’avoir à loisir l’occasion d’entendre la mer 

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    ou de te figurer que debout sur son ciel inverse et nervuré de nacre lunaire tu parais sur les flots

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    J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude

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    Pas de sourire mystérieux Pas de fascinante nudité aux seins divergents et triangle de mousse dorée

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    Pas de voix pour murmurer mes poèmes et en faire des structures d’invisible cristal

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    Pas de fente merveilleuse du sexe pour que j’assiste au commencement fulgurant des étoiles

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    À distance respectable un oiseau menu sans fin compte en sautillant les grains de sable 

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    Et moi je guette l’horizon d’où rien ne vient sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude.

     

     

     

     

    Écoute la nuit écoute le vent

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    Écoute la nuit écoute le vent

    Au fond des étangs des diamants scintillent

    Ô cris de crapauds dans les joncs tremblants

    Ce sont les effets d'étoiles qui brillent

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    Au fond des étangs les diamants scintillent

    J'aime ces clartés dans tes yeux charmants

    Ce sont les effets d'étoiles qui brillent

    Il faut oublier tes anciens amants

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    J'aime ces clartés dans tes yeux charmants

    Ta petite main qui cherche la mienne

    Il faut oublier tes anciens amants

    Tu trembles de froid Veux-tu qu'on revienne

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    Ta petite main qui cherche la mienne

    On dirait l'oiseau qui n'a plus de nid

    Tu trembles de froid Veux-tu qu'on revienne

    L'amour, ça réchauffe et ça réunit

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    On dirait l'oiseau qui n'a plus de nid

    Dans la chambre tiède où luit la veilleuse

    L'amour, ça réchauffe et ça réunit

    L'heure qu'on vivra sera merveilleuse

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    Dans la chambre tiède où luit la veilleuse

    Écoute la nuit écoute le vent

    L'heure qu'on vivra sera merveilleuse

    Ô cris de crapauds dans les joncs tremblants

     

     

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    Fleur-icône

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    Glaïeul grappe droite et nacrée

    lame luisante hors du fourreau 

    comme Vérité nue

    que viens-tu percer l'étendue

    de mon songe enneigé ?

     

     

    Amours malades

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                                            (Pour A. et E. )

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    Pendant le sommeil de fièvre et par la baie vitrée

    les allées et venues des oiseaux inquiets

    (toi les yeux clos dans tes blondeurs éparses)

    j'écris pour occuper le temps et jeter quelques mots

    (si pâles qu'ils ont l'air extraits d'un ossuaire)

    en pâture à la meute enragée de mes angoisses

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    Ce rongement des heures aboyeuses

    comme gueules de ressac aux crocs d'écume

    plantés dans les anses tendres des rivages

    J'écris pour occuper le temps rongeur

    dont la gorge dévoile sa noirceur de mort

    tel au fond d'un tunnel un gouffre se rapproche

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    J'écris ce qui n'a pas de sens L'amour désemparé

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    Le chagrin l'impuissance Ô chanson tranchée net

    par le clic du bouton qu'actionnait un doigt inconnu

    La nuit qui anticipe une autre nuit Les livres qui

    tour à tour nous tombent des mains sur le plancher

    et restent pêle-mêle ouverts sur pages au hasard

    dressées ainsi qu'épis rebelles d'une chevelure

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    Odeurs des douleurs Senteurs vagues d'hôpital

    L'âpreté de la vie affleure luisante et nue

    comme un roc érodé par les intempéries

    Poudre des terres envolées Plantes disparues

    avec les circonvolutions cruelles de la vie

    Je ne peux expliquer Je ne peux rien expliquer

     

     

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    Consolatio

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    Je taillerai dans le ciel gris une éclaircie,

    une échancrure azur, avec le couteau

    idiot des mots qui sont ma seule arme,  

    le chuchotis acéré du fil du coeur 

    qui traverse l'hiver blanc et vide. 

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    Dans le ciel gris une éclaircie en forme

    de fleur à six pétales et pistil de soleil :

    un rayon en tombera droit sur ton front 

    brûlant, rayon pur comme un doigt de fée.

    L'air soufflera son frais parfum de giroflée.

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    De la forêt sépia des cauchemars je rêve

    que tu t'éveilleras, qu'avec un soupir tu

    m'offriras le regard de tes yeux d'eau verte,

    comme après le passage des siècles se sont 

    ouverts ceux de la belle au bois dormant.

     

     

     

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         Magot du marigot

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    Il me plaît, pustuleux, installé comme un phare

    sur son îlot né nu / prasin ? , le crapaud laid, touchant,

    qui darde ses yeux d'or vers le soleil couchant,

    par-dessus la blancheur pure d'un nénufare !

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    Quand au ciel il célèbre une étoile en fanfare,

    l'orthographe n'est pas un souci pour son chant !

    Il a la langue longue et vive, (et le sachant,

    sur l'étang, le moustigre est fin, qui s'en effare.)

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    De lui je suis cousin, comme lui croachant,

    Comme lui déplaisant, comme lui me mouchant

    Dans l'opinion du peuple agité de la mare.

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    Baveux et saliveux, assis comme un magot,

    Auprès de tel Amour qui comble mon ego,

    Si je suis critiqué, simplement je me marre ! 

     

     

     

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      Vanité    

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    Ce qui chez les bipèdes me surprend le plus

    c'est cette intime peur : n'exister pour personne !

    Une constante issue (dit-on) du fond des âges

    L'ermite veut penser qu'un dieu l'observe – lui,

    spécifiquement lui, gérant son cas érémitique…

    Un autre use de l'art, du crime ou de la politique

    ou de n'importe quoi qui puisse exciter les médias.

    On donne dans les sports ou dans l'humanitaire

    afin qu'aux yeux de tous nos qualités reluisent.

    On lance à l'univers cent défis insensés en jetant

    pour les plus courageux leur vie dans la balance 

    Être illustre ou mourir prennent-ils pour devise

    Pourtant lorsqu'on est mort, où est la différence

    entre être un mort célèbre, et un mort ignoré ?

    La plupart des vivants n'ont aucune mémoire.

    Notre crâne aura beau briller comme l'ivoire,

    dans le noir d'un caveau rien n'est à éclairer ! 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Herpes marines sur l'estran du siècle

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    Cruelle la beauté que d'aucuns exigent « moderne ». 

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    Approche, intime splendeur, consume les épaves du désastre. 

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    Ce qui tente de sculpter les ruines de la nuit, s'appelle espoir.

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    Qu'espère l'espoir ? Un battement du sang qui se change en musique ?

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    L'admirable horreur de la nature, à présent que notre cerveau l'a falsifiée, comment lui rendre justice ?

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    L'optimisme aveuglant compromet. Le pessimisme radieux ménage.

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    Tirée au sec, la barque retournée. Elle ne traversera pas la baie jusqu'aux bancs d'étoiles attentives.

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    Ce qu'il écrivait formait des nœuds trop serrés pour qu'il leur échappe.

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    Une beauté nue et tranchante comme flamberge au vent.

     

     

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    Autosculpture

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    Grâce au scalpel de ma langue maternelle, la poésie retranche peu à peu de mon être tout ce qui interdisait à la mort de me reconnaître.

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    On dirait le sculpteur face au bloc de marbre qu'il dégrossit et va intailler jusqu'à donner à lire dans ce qu'il en restera la forme d'un ange.

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    Creuser ce qu'on est par rafales incessantes d'inspiration jusqu'à devenir une personne érodée de ses petitesses, faiblesses et hontes superflues…

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    Je n'ai pour visage que la fraction la plus banale de l'être en quoi est tissée ma vie. Par la poésie je m'efforce de le quitter comme on ôte un masque d'or.

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    C'est Venise, le bal de la vie, la féerie, la dame éblouissante à chevelure de silence et regards où vacille un tilleul. Elle exige qu'on arrache son loup avant l'amour.

    .

    Si le parfum des giroflées tourne dans l'air du soir, comme disait Baudelaire, c'est parce que l'ombre te cache que tu est tout près de l'exquise, éternelle douleur d'aimer.

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    Sache que les torrents de lumière qu'irradie en tous sens l'anarchie poétique, musiques ineffables, sensations inouïes, leur source est au plus noir du coeur.

     

     

     

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     Sous la surface 

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    Obtenir la perfection dans l'inachevé, pour faire écho sans illusions à l'esthétique de ton siècle…

    .

    De glaires glauques qu'entrechoque en moussant la lessive des océans, extraire les fresques mutines des Atlantis !

    .

    Ruines enguirlandées de chlorelles et de varechs, où sont serties des vulves de nacre rose et autres coques sexuées !

    .

    Visiter à dos de dauphin étincelant de soleil les altitudes irrespirables que rythment nuées de poissons-lunes et bancs de vapeurs !

    .

    Il y aura les ramifications pourpres d'un corail sans pareil, encombré d'anémones écarlates aux chevelures volubiles, et de coquelicots épanouis entre lesquels ondulent les corps des sirènes à queue argentée...

    .

    Bien sûr, s'y adjoindra quelque épave ancienne à la proue contournée, à la poupe de bois polychrome, avec mâtures surchargées de lianes marines et de haubans pourrissants.

    .

    Dans la cale profonde, caché au détour de l'obcurité qui rouille les métaux, peut-être un coffre, plein de mots comme diamants, rosée, rubis, éternité, lingots d'or, tremble-t-il au sein du liquide sans étoiles ;

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    Le plongeur aventureux qui l'ouvrira, capable de prendre son souffle plus profondément que tous, n'est probablement pas encore né.

     

    Anxiété du feu

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    Cette terrible distance, espace, nuit, maladie, froissements du temps à travers les feuilles, parfois tour à tour soulevées, chiffonnées, ce silence de fièvre – tout cela venant de toi me déroute. À contre-désespoir, je rêve des pales de lin triangulaire en lesquelles tourne chaque soleil du Lassithi, suite de blancs carrousels aux moyeux alignés des moulins veillant sur l’arête du meltem, devant qui se courbent les pins obséquieux.

    .

    Élucider la beauté de cet azur, au soir moucheté de nuages ainsi que la plaine violette par les oliviers, la nostalgie de ces roches rougies par les lichens pareils à ceux de la garrigue de chez moi, comprendre comment tant de siècles sont restés l’écrin de tant de rêves, telles sont les tâches auxquelles je m’astreints pour me distraire un moment d’affronter ce qui me mine : l’effarante fragilité que confère l’amour à ceux qu’on aime…

    .

    Lâchement, je laisse la plume crème de mes songeries battre les airs grisants et grisés de l’éloignement, s’affoler en essaims aux falaises d’un littoral irréel, abruptes comme les écrans successifs d’une mémoire en laquelle tout ce que j’ai indistinctement imaginé et vécu, est pétri. Je me veux mouette, je me veux goéland, puffin, albatros, pygargue, tout ce qui peut tracer sur l’incommensurable étendue l’alphabet de la liberté !

    .

    Qu’à quiconque apparaisse comme une évidence la foncière illisibilité de ce que j’écrit, voilà qui n’a rien pour me surprendre. Et si en place d’un alphabet d’oiseaux, j’étais capable ainsi qu’un lent noyé de descendre aux altitudes glauques des abysses, ce serait alphabet de poissons aux reflets de mercure et d’argent que j’utiliserais. L’oxygène de mes paroles s’élèverait en miroitantes bulles fluides jusqu’à la surface…

    .

    Elles emporteraient les regards, ainsi que ceux des petits enfants, les bulles de savon ! En leur brillance incurvée s’épanouissent des fleurs de sommeil ; des idées philosophiques foisonnent en déroulant leurs spirales greffées de motifs géométriques ; rien de ce que je comprends ne reste en place, les passages du réel filent en se déformant le long des garde-fous de ma vie. Et tout ce que l’amour assure est festonné de crainte.

    .

     

     

    Au nid de la langue de chez moi

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    Que dit la langue pour le plaisir de donner libre cours à sa propre beauté ? Notre attachement aux visages français des mots s’irrite, s’indigne du plus minime signe qui leur manque.

    Les charnières qui les organisent nous pensent. Les sonorités qui rythment le parler de nos sentiments sont le filet en lequel se prennent certains silences indispensables à l’irraisonné, que concrétisent les -e muets, avant d’éclore !…

     

     

     

    Légumes

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    Une épreuve insolite 

    que d’ouvrir le livre d’un de ces grands poètes fameux

    dont chaque page trouble (par son invention verbale

    par la stupéfiante virtuosité du dire,

    par la dimension grandiose et saisissante des images)

    le misérable lecteur sans talent

    assis devant le plan de travail de la cuisine

    où sont étalés attendant d’être épluchés 

    oignons intacts et bleus auxquels on n’a pas volé leur « i »

     patates douces qui feignent d’être des mottes de glaise

    poireaux qui s’étirent – du blafard au vert véronèse

    puis à l’émeraude tendre –

    carottes pointues couleur corail, aubergines renflées lustrées

    courgettes radis bintjes artichauts pommés

    autant de merveilleux légumes dont la simple présence

    a la même intensité que l’être des choses

    l’être intransgressible comme le béton d’un mur

    abrupt, face aux essaims de caractères blêmes 

    aux lignes des mots sur les pages translucides

    frêles et tremblantes dans les courants d’air

    avec leurs vers qui veulent offrir du sens à l’Insensé 

    qui poussière d’encre au moindre souffle s’éparpillent

    en cendres volantes 

    tandis que la puissante blancheur d’une belle endive 

    ridiculise la nudité de la page vierge.

     

     

    .

    Crépusculaire

    .

    Qui pleure à cette heure

    derrière les volets fermés

    On dirait un démon triste

    mélancolique, enrhumé

    .

    Tous seuls dehors s’agitent

    les gourmands des rosiers fanés

    Aux cieux des oiseaux solfient

    l’air des nuages étonnés

    .

    En avant penchent le cou

    chuchotants et goguenard

    à l’enterrement du jour

    les ormes en habits noirs…

     

    .

    Au quotidien

    .

    Ce midi, alors que le temps a passé, 

    mal rasé dans le nickel miroitant du mitigeur

    qui me déforme bizarrement,

    je me vois mettre au four une quiche.

    Il y a tant de mystère dans l’éventail des rayons

    richochant à travers l’univers !

    .

    On pourrait tout à l’heure aller

    en promenade au bord des étangs, 

    à Ville d’Avray par exemple, on ferait

    bondir des galets qui traceraient les arches

    d’un pont invisible sur la clarté de l’eau…

    Au loin s’effacerait un arc-en-ciel...

    .

    Les boutons d’or secoueraient dans la brise

    un pollen de silence apte à envahir l’azur.

    Sur la rive les petites pierres taquinées de vaguelettes

    s’enveloppent de mousse et se renferment

    sur leur for-intérieur. Nos pas s’impriment 

    dans la boue à peine sèche. À l’aube, il a dû pleuvoir.

    .

    Le minuteur de la cuisinière sonne.

    Je lève les yeux de ce que je lis

    et j’aperçois ton regard qui me protège

    vertement de ce que je suis.

    Un couteau, je découpe la quiche ; verse

    du vin. Nous allons déjeuner ensemble

    .

    tranquilles, comme si la poésie n’existait pas.

     

     

     

     

    .

    Une journée vague

    .

    Que flûte fasse pleurer sans bruit les pierres !

    J’irai dans le jour avec mon roseau taillé

    à la rencontre de l’oiseau convoqueur d’aurore,

    là-haut perché sur le pin à côté d’un nuage rose.

    .

    J’irai la poitrine gonflée par le froid pur de l’air

    qui tombe des montagnes aux cols blancs.

    Un souvenir affreusement triste s’effacera

    et des visages s’enfuiront en tourbillonnant :

    .

    je revois des ballons de baudruche lâchés

    soudain qui couinent, ronflonnent et choient

    plats et flétris pour la joie de bambins hurlant

    de rire – encore, encore, ballons-cochons !

    .

    J’irai par les prés, chevilles mouillées de rosée,

    jouant des airs si vieux que même les péruviens

    les ont oubliés. J’aurais l’âme sereine et grave,

    respirant dans les sous-bois l’odeur des siècles…

    .

    Au foisonnement des toits rouges de la vallée,

    dans mon regard je substituerai le foisonnement 

    vert des fougères. L’écho répondra depuis la paroi

    vertigineuse du baou. Heureux, j’errerai jusqu’au soir.

     

    .

     

     

    .

    Variations entre chat et tigre

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    Entre le langage du poème et celui de la cité, autant de distance qu’entre musique et bruit.

    .

    Rien à enseigner, juste ficher en chemin quelques panneaux indiquant « par là, l’univers de soi-même ».

    .

    L’insaisissable secret ; que l’on pressent fort bien à distance, s’évanouit de trop de proximité.

    .

    Ce qui émeut en lisant une phrase, c’est l’intuition que son sens oblitère heureusement celui du temps qui passe.

    .

    Le collier sonore d’une phrase en quetchua, en aymara, en russe, en grec, en chinois, en espagnol…

    .

    Ce que disait ton poème, je l’ai moins entendu que ce qu’exprimait le ton qui en sous-tendait l’énonciation.

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    Sous les miroitements d’un pelage inoffensif, que ta parole dissimule un abîme humain qui ne soit pas feint.

     

     


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  • .

    Hors la loi

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    Le tronc des pins exsude son ambre,

    régal des cigales qui en nourrissent leur musique ;

    ainsi voudrais-tu que de toi sexhale

    un lumineux silence

    que le papier révélerait langage

    pour ceux qu‘attirent les secrets d’un cosmos inconnu.

    .

    Ici se tient l’éclat serti dans le présent des choses

    Le diamant au sommet de la tiare d’or

    Le nid de l’écureuil qui sanctifie la ramée

    Le songe étincelant qui nimbera la matière qui dort

    Le feu pur du reflet sur l’onde vive de la vie

    .

    Ici ce sont des multiples du vrai monde qu’on respire

    et, si l’on veut, partage – en tout liberté

    Ici les dictateurs n’ont pas droit de cité

    Il n’est que la pensée que l’on ne peut détruire.

     

     


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  • Demain, quel demain ?

     

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    N'ayant plus guère d'intensité à vivre, nous fécondons nos antiques montagnes avec le pollen cuivré de l'une ou l'autre immense fleur du jour. L'est inaugure le présent, l'ouest le conclut.

     

    .

     

    Tourne et retourne ton rêve dans la nuit, qu'il se dissolve comme sucre dans du café ! Qu'un sommeil à pas de velours vienne asseoir son mystère sur ton insomnie - et l'étouffe en douceur !

     

    .

     

    Ce fut un jeu longtemps. Désormais tu ne sais plus jouer. Tu as découvert que les cartes que la vie t'avait distribuées étaient toutes biseautées. Une lucidité qui t'a rendu l'estime des nuées.

     


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